Giovani Bertone est né le 10 août 1884 dans le Piémont. Il commence sa carrière à Crocetta, dans l'entreprise Ferrura, l'un des meilleurs constructeurs de charrettes et de voitures de l’époque. Il y est garçon d'atelier et y reste jusqu'en 1907, date à laquelle il quitte la firme pour s'installer à Turin. Il travaille jusqu'en 1912 chez le constructeur Diatte Ferroviaria. L’entreprise est alors spécialisée dans la construction de caisses de tramways et de matériel ferroviaire roulant, en bois et en métal. Lassé des violentes grèves répétées qui affectent la firme, il décide de quitter son emploi et de créer, avec sa femme Carolina, un petit atelier dans la Via Villarbasse, spécialisé dans la réparation de véhicules hippomobiles. Il se forge rapidement une solide réputation à Turin.
Entre 1915 et 1919, l'atelier ferme car l’Etat le réquisitionne pour la construction de munitions pour la guerre.
Son premier contact réel avec la construction automobile passe par la commande de sièges en bois, qui sont ensuite montés sur des châssis roulants. Mais c'est vraiment avec la fabrication d’une carrosserie de Torpille pour Alfa Romeo, sur base d’un châssis de 23s, que sa carrière d'automobiliste a débuté.
Le développement rapide de l'automobile en Europe dans les années 20 ouvre la voie à Bertone, qui commence à se faire un nom dans toute la péninsule italienne. Vers la fin de la décennie, alors que de nombreux constructeurs lui font confiance pour la réalisation de leur carrosserie, ses clients deviennent de plus en plus enclins à promouvoir une nouvelle sensibilité esthétique. Bertone est en route vers son destin…
Au début des années 30, Giovani commence à travailler avec son fils, Nuccio, né et élevé à une époque très différente de celle de son père. Leur complémentarité leur permet de s'adapter et de prévoir les nouvelles tendances. Au même moment, grâce à la commercialisation de la Fiat 508, qui était un petit véhicule utilitaire, l'automobile devient de plus en plus accessible au grand public.
Bertone emploie en 1933 Mario Revelli di Beaumont, qui est considéré comme le premier véritable designer automobile. L’entreprise s’agrandit et se dote de tous les atouts pour répondre aux exigences de son temps. En 1933, avec le lancement de la Fiat 527s, dessinée par Bertone dans un style très avant-gardiste, la firme achève de forger sa réputation en tant que carrossier et reçoit bientôt des demandes des concessionnaires de toute l’Italie, d’Europe et même des Etats-Unis. On lui confie à ce moment la création d’un lot de presque 100 carrosseries spéciales.
Jusqu'en 1937, Bertone est très actif grâce aux progrès constants de l'ingénierie et aux perfectionnements apportés à la production de carrosseries entièrement métalliques, exemptes de contraintes de torsion. Cela est particulièrement vrai pour les modèles cabriolets dérivés des berlines de série.
Effort de guerre oblige, à partir de 1939 l'entreprise se concentre sur les commandes militaires pour des véhicules auxiliaires et des ambulances.
Au même moment, Rivelli impose son style et prend la direction artistique de Bertone.
Grâce à ses importantes connaissances techniques, et convaincu que la voiture allait évoluer vers une fonctionnalité toujours plus poussée, l’ingénieur conçoit des véhicules avec un très grand espace intérieur. D’ailleurs, entre 1939 et 1941, Siata adopte un certain nombre de ses brevets. L’automobile se dirige vers sa forme moderne, et il en est sans aucun doute l’un des instigateurs.
Rivelli devient un designer de renommée mondiale, grâce à ses chefs-d'œuvre : la Fiat 1500, l’Alfa Romeo 6C 2300 ou encore les Lancia Aprilia de la fin des années 1930.
Il quitte finalement la firme en 1951, et traverse l’Atlantique pour vivre le rêve américain, en rejoignant le constructeur General Motors.
Au milieu du XXe siècle, les constructeurs italiens font émerger trois modèles automobiles emblématiques : la Fiat 1400, la Lancia Aurelia et l'Alfa Romeo 1900, qui sont toutes trois des variantes de la berline à quatre portes. Bertone contribue largement à leur construction, notamment grâce au coup de crayon de son designer, Giovanni Michelotti.
C'est également à cette époque que Nuccio Bertone s'attaque au projet de création d’un coupé-cabriolet, avec la MG TD. Présentée pour la première fois au Salon de l'Automobile de Turin en 1952, elle remporte un énorme succès, notamment aux États-Unis. Fort de cette réussite, Bertone planche sur un autre projet sur la base de la MG TD, et confie la conception à Franco Scaglione, un designer encore relativement peu connu, mais aux dessins audacieusement novateurs.
Avec Giovanni Michelotti, qui a effectué de nombreux croquis pour Bertone dans les années d'après-guerre, Franco Scaglione devient l'homme clé à l'usine de Corso Peschiera, à Turin. Il a suivi un parcours peu conventionnel pour un designer automobile. Il a d’abord étudié l'ingénierie aéronautique, et a commencé sa carrière chez Fiat, dans le département style des véhicules spéciaux, à seulement vingt ans.
Très imaginatif, à la limite de l'extravagance, il a conféré une grande originalité à sa création. Elle est caractérisée par des lignes douces mais décisives, valorisées par le style en forme de couteau qui a trouvé une expression sensationnelle dans le coupé Abarth 1500, tiré de la Fiat 1400 Mecanical, exposée au salon de l'Automobile de Turin en 1952. Il est allé encore plus loin dans le développement de cette identité esthétique, avec les trois prototypes BAT présentés aux trois salons de l'Automobile suivants.
Lors de son passage chez Bertone, il a conçu certaines des coques les plus emblématiques des années 50 et 60, comme par exemple le prototype de la Lamborghini 350 gtv et la Giulietta SS.
Ce n’est qu’après son départ de la firme qu’il réalisera les dessins de la Ferrari 250 GTO, de l'Alfa Romeo 33 Stradale et de l'Alfa Romeo TZ, entre autres merveilles automobiles.
Pour épauler Scaglione, un autre designer de renom a rejoint les rangs de Bertone. Giugiaro a été repéré par Nuccio et employé en décembre 1959 comme styliste dans le bureau des prototypes, à la fin de son service militaire.
Pour créer la Ferrari 250 GT, commandée par Genoan Business, il s’est inspiré des F1 ayant la particularité d’avoir des nez de requins (shark-nose) de la marque au cheval cabré à la même époque. En 1961, après avoir présenté la non-consensuelle Chevrolet Testudo, sur la base d’une Corvair, il déclare : « C'est le premier prototype que j'ai réussi à créer comme je le voulais et le résultat a polarisé l'attention dans le monde automobile ». Giugiaro défendait une conception bien personnelle du design automobile, que Bertone lui a permis d’exprimer pleinement.
Citons aussi, parmi ses chefs d’œuvre, l’Alfa Romeo Canguro, la Fiat 850 Spider, la Maserati 5000 GT et la Grifo d’Iso Rivolta. Rien que ça.
En 1961, Bertone déménage dans la nouvelle usine de Grugliasco, offrant une capacité de production de près de 7500 carrosseries par an. La marque ne cesse de se développer, et d’inscrire son nom dans la légende automobile italienne.
En 1965, un jeune homme de 27 ans, doté d'un incroyable sens du style, remplace Giugiaro à la tête du design de l'entreprise et commence sa carrière avec l'un des véhicules les plus importants jamais créés : la Lamborghini Miura. Il s’agit de Marcello Gandini.
Feruccio Lamborghini pensait qu'elle serait un outil marketing précieux, si ce n'est plus. Il a alors donné à ses ingénieurs le champ libre pour sa conception.
Chez Lamborghini, Gian Paolo Dallara, Paolo Stanzani et Bob Wallace étaient en charge du projet, tandis que la partie moteur était dévolue à Bizzarini.
Pour le projet de la 350 GT, Ferrucio lui avait déjà demandé de concevoir un moteur qui serait plus puissant que le Colombo de Ferrari. Il le récompenserait pour chaque cheval de plus obtenu par rapport à Ferrari. Bizzarini y est parvenu, en créant un V12 de 3,5 litres développant 358 chevaux à 9800 tours/minute. Soit 82 chevaux de plus que le moteur Colombo qui culminait à 276.
Cependant, Ferrucio ne voulait pas d'un moteur de course pour la Miura, il a alors demandé à Stanzani et Dallara de le retravailler afin de le rendre plus fiable.
C'est lors de son deuxième jour chez Bertone que le jeune Gandini se voit confier le projet de la Miura : il ne lui faut que deux jours de plus pour dessiner le projet. Fait d’armes historique et à peine croyable quand on connaît la place qu’occupe ce modèle dans l’histoire automobile. Fait d’armes toutefois remis en cause quelques années plus tard par son prédécesseur, Giugiaro, qui prétend avoir donné les premiers coups de crayon qui ont donné forme au modèle en 1964, avant son départ.
A quelques jours du Salon de l’Automobile de Genève, en 1966, la Miura n’était pas totalement terminée. Panique à bord, le moteur n’entrait pas dans le compartiment. Les équipes de la marque sont parvenu à cacher cette erreur et éviter l’opprobre du monde automobile, en gardant le capot moteur bien fermé tout au long du salon.
Marcello Gandini a étudié la décoration d’intérieure avant d'arriver chez Bertone, le 1er novembre 1965. N'ayant pratiquement aucune connaissance en mécanique, il a fait preuve d'une adaptation et d'une compréhension rapides des pré-requis à connaître pour concevoir une auto. Après la Miura, il s’est vu confier le projet de la Lamborghini Marzal, qui était une version peut-être encore plus extrême que la Miura, avec quatre sièges et de grandes baies vitrées. La même année, il crée des voitures plus accessibles, telles que l'Alfa Romeo Montreal, la Fiat Dino et l'étonnante Lamborghini Espada.
Au début des années 1970, Gandini commence à expérimenter des créations plus futuristes et audacieuses, comme le prototype de Lancia, la Stratos, la Lamborghini Countach en 1971 ou l'Alfa Romeo Carabo. Après quelques années, la relation entre Gandini et Nuccio commence à se dégrader. Nuccio Bertone lui reproche son extravagance, son manque de restrictions concernant ses conceptions.
Dans les années 1980, suite aux crash pétroliers successifs, l’industrie automobile subit des périodes de crise. Les règles qui régissaient jusqu’alors la conception des voitures évoluent, le métier de carrossier disparaît peu à peu. En 1997, Nuccio Bertone décède et emporte avec lui le souvenir exceptionnel des grandes épopées qui ont façonné quelques-unes des plus belles voitures au monde.
1976 - Nuccio Bertone avec une Alfa Romeo Navajo