Jean Chassagne : une légende méconnue de la course automobile

COURSE AUTOMOBILE | 10-03-23

par Raphaël CHASTANG-DESPARRAIN

Jean Chassagne : une légende méconnue de la course automobile

Il y a des tempéraments qui ont une forte inclinaison vers l’objet mécanique et son fonctionnement, un attrait particulier pour la force cinétique et le besoin de comprendre comment s’agencent les rouages pour créer le mouvement. Jean Chassagne était de ces gens-là. 

 

Un homme qui est né à la bonne époque. Celle d’une France transformée par la révolution industrielle et par le progrès mécanique en marche. Celle qui voit naître l’automobile, mais aussi la course automobile. 

Rappelons-le, dès 1891 les pilotes se tiraient la bourre pour rallier Rouen depuis Paris lors de la première course automobile. La Ford T n’avait même pas encore été créée !

Le petit Jean n’a alors que 10 ans.

 

Il commence sa vie professionnelle en tant que mécanicien. Sa lubie ? Comprendre comment régler une automobile en fonction du retour des pilotes. 

A 29 ans, il franchit le Rubicon, et se lance dans la discipline sportive la plus dangereuse de l’époque : la course automobile. 

Remettons en contexte. La pratique du sport automobile était à l’époque de la pure folie. Le danger à tout moment. La fiabilité des moteurs, souvent des moteurs d’avion, était désastreuse, le réservoir – situé sous le siège des conducteurs – menaçait d’exploser à tout moment, la suralimentation provoquait des jets de carburant brulant au visage des pilotes, les pneus n’étaient que de simples morceaux de gomme compressée n’offrant aucune adhérence. 

Les courses se déroulaient sur des petites routes de campagne non goudronnées, souvent au milieu des champs, pendant parfois plus de 24 heures sans relai. Et en ces temps-là, il n’était pas question de sécurité. 

Les pilotes, des gladiateurs jetés dans l’arène en pâture au moindre danger, risquaient leur vie à chaque instant. Pour seul récompense à cette surdose d’adrénaline, l’espoir d’une gloire héroïque.





 

 

En 1910, Chassagne rejoint l'équipe de course Catalane Hispano-Suiza. Le constructeur automobile avait vu le jour en 1898, mais la production était très restreinte, car la firme possédait des moyens financiers limités. En engageant un pilote français, ils espéraient réussir à promouvoir l’exportation des modèles espagnols en France et augmenter leur capacité de production. Pour ses débuts prometteurs, il finit troisième lors de la course de Catalogne. 

De retour du service militaire dans le Tonkin en 1913, Jean poursuit sa carrière en rejoignant l’écurie Sunbeam. Il participe au Grand Prix de France, à Amiens, où il marque les esprits en finissant troisième derrière les illustres pilotes Georges Boillot et Jules Goux.

C’est en 1914 que Jean Chassagne connaît son premier franc succès, avec l’obtention de la pole position au départ des 500 miles d’Indianapolis. 

Ce circuit était considéré par beaucoup comme la course la plus physique et dangereuse de l’époque, n’offrant pratiquement aucun répit aux pilotes. 

A l’époque, les voitures étaient faites de métal brut et de bois, matériaux sujets à de fortes torsions du châssis, pouvant provoquer un comportement très aléatoire sur les surfaces terreuses voir boueuses des routes. 

En à peine deux ans, ses faits d’armes sur la piste font de lui une figure populaire dans le milieu de la course automobile.

 

 

 

 

 

La guerre stoppe cette ascension. En 1914, il s'engage dans l'armée de l'air et devient pilote de chasse, comme beaucoup de pilotes automobiles de l’époque. 

 

Sa deuxième position lors du Grand Prix d’Italie sur une Ballot 3L (exposée lors de l’édition de 2023 du salon Rétromobile) relance sa carrière de pilote automobile après la guerre. S’en suivent de nombreux succès, tels que sa victoire aux côtés de Robert Laly sur le RAC Tourist Trophy, organisé sur l’île de Man, avec une Sunbeam III. Il est le premier participant continental à gagner cette course mythique.

 

Il quitte sa monoplace en 1925 pour participer aux courses d’endurance, notamment aux 24 Heures du Mans. Il réalise une réelle prouesse en 1926 en finissant 2ème sur Sunbeam, qui était une voiture bien moins puissante que ses concurrentes directes telles que les Lorraine-Dietrich 3.5L. Lors de cette course, seulement 16 des 50 automobiles engagées ont terminé et seules cinq voitures sont parvenues à faire plus de 120 tours. Deux pilotes y perdirent la vie, André Guilbert et Marius Mestivier. 

 

En 1927, Chassagne rejoint les emblématiques Bentley Boys, qui ont fait la notoriété de l’écurie Bentley en gagnant pratiquement toutes les courses auxquelles ils participèrent. Ce groupe était, à l’origine, constitué de riches gentlemen européens, mordus de vitesse et d’adrénaline. Ils étaient réputés aussi bien pour leur consommation de champagne et leurs courtoisies auprès des dames que pour leur rage de gagner à tous prix sur les circuits.

Monsieur Bentley lui-même déclarait qu’il était heureux de voir ses voitures rouler seules à l’heure ou la rosée du matin apparaît… en faisant référence aux Bentley Boys rentrant chez eux après de longues soirées arrosées, « Tant que mes automobiles font la une des journaux le lundi matin »...

 

La grande particularité des automobiles Bentley de cette époque était leur taille. Elles étaient basés sur des châssis de petits camions puis allégées et renforcées dans le but d’être robuste et endurante, capable de franchir n’importe quel obstacle. Elles ont d’ailleurs été catégorisées par Ettore Bugatti de « camion le plus rapide du monde ».

 


Pour en revenir à notre protagoniste, Jean court en Bentley 4,5 L en 1928 et 1929 ou il termina respectivement en 4e et 5e positions aux 24 Heures du Mans, aux côtés de Tim Birkin (qui était d’ailleurs l’oncle de l’actrice et chanteuse britannique Jane Birkin).

Il faut noter que Jean connut aussi une courte mais belle aventure chez Bugatti, pilotant la célèbre type 35 n°7. 

 



 

On raconte que lors d’une course au mythique sur le circuit de la Coppa Florio (course qui consistait à parcourir environ 500 km autour de la Sicile aussi rapidement que possible) que Chassagne tomba en panne d’huile moteur. Il décide alors d’aller acheter de l’huile d’olive auprès d’un petit producteur de la région. Il aurait alors rempli son réservoir tout au long de la course jusqu'à la ligne d’arrivée, donnant une odeur bien particulière aux gaz d’échappement...

 

Jean Chassagne cesse de courir en 1930, encore loin d’une époque qui a vu naître nos légendes automobiles actuelles. Nul enfant n’a de posters de lui dans sa chambre aujourd’hui. Et pourtant, sans les épopées des grands pilotes d’avant-guerre, le sport automobile n’aurait fait naître aucune des idoles casquées de nos jours. 




Raconté par Raphaël CHASTANG-DESPARRAIN

Ne démarrez jamais une conversation automobile avec Raphaël si vous n'avez pas assez de temps devant vous...


Raphaël est un passionné de la ligne et des objets mécaniques. Il vous relate ses connaissances sur le blog de Carprecium ! 

 

E-mail : desparrainraphael@gmail.com

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